Plan de sauvegarde de la Casbah d’Alger : où en est-on ?

Publié le par ASPA ASSOCIATION

 Plan de sauvegarde de la Casbah d’Alger : où en est-on ?

 

 


Une année après notre article (paru dans le précédent bulletin) qui concluait sur une note d’espoir, il est temps de se pencher à nouveau sur cette pauvre et chère Casbah pour jauger de l’état d’avancement du plan de sauvegarde et juger de l’adéquation de notre attente à la réalité.

Une simple promenade dans ses ruelles n’invite guère à un excès d’optimisme. L’atmosphère y est lourde, le désabusement des habitants semblant être porté à son comble. Par ailleurs, il est regrettable de constater, après l’amélioration de l’aspect sanitaire des ruelles au début de l’opération, le retour en masse des amoncellements d’ordures et des décharges sauvages à chaque détour. Les chantiers sont perceptibles partout. On note la présence envahissante des étaiements en bois ou construits, dans les sabbats, à l’aplomb des habitations, soutenant des murs fissurés, des kbous peu stables, et des porches d’entrée, se prolongeant à l’intérieur des maisons pour renforcer les arcades ou quelques plafonds bombés. La phase d’urgence, c’est-à-dire la phase 1 du plan de sauvegarde qui en compte 3, et qui vise à sauver des maisons de l’écroulement, est visiblement toujours en cours. Sur 364 bâtisses, 294 ont été totalement prises en charge, nous précise M. Zekagh, chargé de la réalisation du plan. Toutefois, le diagnostic ayant été établi en 2007, le stade de l’urgence devrait être maintenant dépassé et accuse un net retard par rapport aux premières prévisions.

Ce retard peut être imputé aux lenteurs administratives qui font qu’à ce jour, les bureaux d’étude et les entrepreneurs chargés de la restauration n’ont toujours pas été payés. Par ailleurs, l’intervention d’urgence, étanchéité, renforcement des structures, a pris au dépourvu, il faut le reconnaître, les bureaux d’étude, qui manquaient d’expérience dans la restauration du bâti ancien, et c’est essentiellement sur le tas, en forçant leur capacité d’inventivité et en confrontant mutuellement leurs expériences que les maisons ont pu de mieux en mieux être prises en charge. On voit d’ailleurs apparaître des modes de stabilisation, non observés au début des travaux, comme un système de câbles qui relient entre eux les murs extérieurs à chaque étage.

Comme autres causes à invoquer pour justifier le dépassement des délais, figurent également en bonne place les failles de l’étude réalisée par le CNERU (Centre National d’Etude et de Recherches Urbanistiques), en 2007. Des maisons classées vertes, c’est-à-dire en bon état, se sont écroulées, alors que d’autres diagnostiquées rouge, c’est-à-dire en péril immédiat, se sont vues, à la demande des bureaux d’étude, partiellement (orange, jaune) ou totalement (vertes) réhabilitées. Il semble également, d’après notre enquête, que cette structure, le CNERU, chargée du suivi de la phase d’urgence, service qui a fait l’objet d’un contrat, soit totalement absente sur le terrain, ce qui réduit le personnel de contrôle au chargé du plan, lui-même, et à quelques fonctionnaires, architectes ou archéologues de la direction de la culture, maître de l’ouvrage, rappelons-le, dont le nombre sur site ne dépasse pas celui des doigts d’une main.

De même, le comité technique chargé du pilotage de l’opération, qui réunissait pour une efficacité optimale, des représentants des différents secteurs concernés, (APC d’Alger centre, direction de l’hydraulique, Sonelgaz, services Asrout, Netcom, Direction des logements, etc…) a été dissout en juillet 2008. Instauré dès le lancement du plan, par décision interne, il était censé suivre la réalisation de la phase d’urgence, assurer la bonne coordination entre tous les secteurs concernés et faciliter la concrétisation des mesures initiées. Les experts de l’Unesco ont d’ailleurs déploré lors de leur visite, automne 2008, la dissolution de cette structure, en préconisant la création d’un comité de remplacement. Ces mêmes experts ont également fait remarquer certaines lacunes dans les mesures d’urgence, à savoir, la non prise en compte du risque sismique et l’absence d’ingénieurs à même d’établir les calculs précis pour une meilleure efficacité des confortements.

Une bonne nouvelle cependant, le budget initial de 30 millions, a été doublé. Il faut dire que la première tranche a été dépensée ou du moins est déjà engagée. Cette rallonge tend à confirmer la mauvaise estimation, ou du moins les tâtonnements, de départ.

La seconde phase, c’est-à-dire, l’étude typologique et historique, serait finalisée, d’après M. Zekagh. Concernant cette phase en particulier, il est plus que regrettable que des archéologues ou historiens n’aient pas été associés à l’élaboration du plan. L’erreur, même si elle pouvait être corrigée dans ce cas, par les services de la direction de la culture, en s’adjoignant des consultants, incombe essentiellement aux textes législatifs, qui font la part belle aux architectes, prévoient des représentants de tous les secteurs concernés par la ville en général, mais omettent radicalement la nécessité, dans ce genre d’opération, impliquant des décapages, une recherche en stratigraphie, totalement assimilables aux travaux de fouilles, d’un archéologue, seul à même, plus que l’historien, à en faire une lecture correcte. Ailleurs, car il faut le rappeler, les intervenants semblant ignorer que des exemples, si ce n’est des modèles, existent, non loin de chez nous, l’archéologue qualifié a sa place. De nombreuses médinas ont fait l’objet de restauration, ne serait-ce que dans les pays voisins, Maroc ou Tunisie. La restauration du petit village médiéval de Mertola au Portugal pourrait également en inspirer plus d’un. Car nombre des problèmes rencontrés à la Casbah sont les mêmes qui se posent ailleurs, en tenant compte bien sûr de la similarité des contextes chronologiques et culturels. S’intéresser à ce qui se passe au-delà des frontières et s’ouvrir à l’interdisciplinarité, semblent être une démarche totalement étrangère à nos fonctionnements et l’impression dominante qui ressort des discussions avec les responsables et participants à ce projet, est que ce plan de sauvegarde représente un travail d’expérimentation et de pionniers. Certes, c’est le premier du genre à avoir été mis en place en Algérie, et il ne s’agit pas de faire du copier-coller, mais toutes les idées, les meilleures surtout, ne sont-elles pas bonnes à prendre ? En plus de l’archéologue, ce que nous enseignent les autres expériences, c’est que ces projets ne sauraient également se passer d’urbaniste, ce qui est malheureusement le cas à la Casbah.

La troisième phase, la rédaction finale du plan de sauvegarde, qui élaborera le mode de gestion du secteur sauvegardé, en posera les fondements pour à la fois le dynamiser, le protéger et le valoriser, serait en cours. Sa finalisation semble achopper sur un problème clé, à savoir la question du relogement qui concernerait 109 familles, certainement plus, si on prend en considération les attentes des habitants.

Des raisons, donc, de modérer notre optimisme initial sans toutefois désespérer de l’avenir. Il est clair que les compétences, les volontés et les moyens n’ont pas tous été mobilisés, comme l’augurait pourtant la grande vague enthousiaste du début de l’opération. Cependant, nous pouvons constater que les travaux d’urgence ont déjà contribué à sauver des maisons, des vies humaines très certainement et que se perçoivent, ici et là, des prises de conscience, des avancées dans la recherche de solutions, une meilleure appréciation des réalités, parmi, notamment, les professionnels en charge du projet, qui ne peuvent constituer qu’un progrès dans la prise en charge de la Casbah et de son avenir.

La suite dépasse les compétences techniques et les bonnes volontés, et ne relève plus que d’une politique qui, nous l’espérons, s’assumera.

 

Sondage de la place des martyrs

La place des martyrs devant accueillir une méga station de métro, et se situant à l’intérieur du périmètre du secteur sauvegardé de la Casbah, a fait l’objet d’un sondage archéologique afin de prendre connaissances des informations d’ordre historique contenues dans son sous-sol. L. Arifi, archéologue, a dirigé le chantier qui s’est tenu l’été dernier, et ouvert des tranchées de 2m de large, orientés NS, élargies au besoin. Les sondages ont confirmé la présence de vestiges de la période ottomane, pans de murs, pavements, bases de colonnes, fours, et également à 4 mètres de profondeur, d’une occupation plus ancienne, sous la forme d’une mosaïque datée approximativement du IIIè siècle. Ce premier sondage sera suivi d’une véritable fouille de sauvetage, fortement encouragée par les experts de l’UNESCO, rendus sur les lieux en automne dernier. Elle serait conduite par des archéologues de l’INRAP (Institut français de recherche archéologique préventive). Il semble, dès maintenant, totalement exclu  d’aménager à cet endroit une station de l’envergure prévue initialement par l’entreprise de réalisation du métro et le mérite en revient en grande partie à la direction de la culture d’Alger. La fouille devra mettre en évidence tous les vestiges d’importance et révéler le maximum d’informations historiques. Et ce n’est qu’à l’issue de cette fouille que l’aménagement de la station pourra être envisagé en tenant compte des vestiges révélés qui pourront éventuellement entrer dans le décor de la station comme c’est le cas dans tous les métros des villes historiques. Les passagers pourront ainsi en pénétrant dans les entrailles de leur ville s’enfoncer dans son histoire et faire connaissance avec son patrimoine. Cela dit, au stade actuel, ce n’est encore qu’un rêve, peut-être juste un vœu pieux.

 

Un chantier qui dure : la mosquée Ali Betchine

Cette mosquée longeant l’extrémité Nord-Ouest de la place des martyrs montre le spectacle lassant, depuis 2003, de travaux interminables. Erigée en 1622 par Ali Betchine, officiel ottoman, ancien captif affranchi d’origine italienne, elle présente une architecture originale tout en ne dérogeant pas aux canons classiques des constructions religieuses de l’époque. Le rez-de-chaussée, jouxtant la place abrite plusieurs boutiques, et à l’un de ses angles, une fontaine. L’accès à la salle de prière se fait à l’étage. La grande salle présente un large centre carré marqué par des piliers massifs dans ses quatre coins, alors qu’au sommet une vaste coupole détermine au sol, par la série de doubles colonnes qui la soutiennent, un spacieux octogone. Tout autour, court une galerie, elle aussi surmontée de coupoles (21), qui se dédouble dans le fonds de la salle, et s’ouvre sur une cour. A l’opposé, orienté Est, le Mihrab dont le seuil est encadré de deux colonnes de marbre, creuse sa niche dans un kbou, couronné d’une coupole travaillée dans le stuc. Si la majesté des lieux, leur clarté, mais aussi leur sobriété ne peuvent qu’en imposer, des critiques sont à émettre sur certaines interventions. Deux entreprises de restauration se sont succédé, sous la direction de la wilaya. Des tentatives de restitution quasi à l’identique sont louables : pavement de marbre, chapiteaux de colonnes dont il ne restait qu’un seul exemplaire (d’après ce que nous en avons vu) en piteux état, décors de stuc, réalisé par un artisan de Constantine. Toutefois, nous observons l’utilisation abusive du ciment, auquel ne semble pas avoir été ajouté un taux élevé de chaux. Sur la terrasse, l’étanchéité, condition sine qua non de toute survie pour un bâtiment, totalement refaite et s’étendant à l’ensemble des coupoles, prête à interrogation quant à l’utilisation du sica. Ce dernier étant totalement étanche, il empêche les matériaux constitutifs naturels de respirer. La protection contre les intempéries a été omise pour le minaret dont une partie avait déjà disparu de longue date et dont la partie restante est aujourd’hui totalement exposée aux pluies, le mortier s’effritant, quand il ne sert pas de terreau à des mauvaises herbes. L’humidité infiltrée se traduit au niveau des plafonds des escaliers pourtant récemment refaits à la chaux, par des desquamations et des tâches noirâtres d’humidité. A ces approximations techniques, s’ajoutent des fautes de restitution, les murs du mihrab ayant été tapissés d’une faïence qui ne déparerait pas dans un salon de coiffure ou un hammam actuels, et les magasins fermés par des pans de bois clairs. Il est regrettable également que la cour du rez-de-chaussée soit jonchée de détritus que ne justifie en rien la poursuite du chantier. Il faut juste espérer que ces erreurs soient des leçons supplémentaires pour l’avenir.


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D
s'il vous plait envoyez moi des renseignements concernant le plan de sauvegarde et de mise en valeur.je prepare un magister en droit foncier.merci
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